Amina-Mathilde
#Interview pour Compol "La crise propulse la compol dans le XXIème siècle"

Mes réflexions pour ce nouveau numéro prospectif de Compol (décembre 2020) :
La crise propulse la compol dans le XXIe siècle
L’état d’urgence et la demande forte d’horizontalité de la prise de décision bousculent la communication politique des exécutifs. En cette fin d’annus horribilis, les pratiques des communicants achèvent un virage majeur qui a débuté il y a quelques années.
Transparence, humilité, horizontalité. Des mots qui ont pris corps avec la crise sanitaire et ses dérivés. Si la communication politique est en mouvement sur ces thèmes depuis plusieurs années, stimulée par l’apparition des réseaux sociaux, l’année 2020 marque un tournant majeur. Notamment face à « une communication d'un autre temps » usée par la crise (lire page 3).
«Je ne sais pas »
« À l’heure des réseaux sociaux et de la vague populiste, être authentique et proche des gens constitue un enjeu de légitimité fondamental » (ComPol n°139), mesurait il y a peu Ariane Ahmadi Kermanshahani, consultante chez Only Conseil. Cette année, une tendance à l’humilité s’est matérialisée « très concrè-tement » à l’Élysée par « un premier mea culpa télévisé : c’est une cassure qu’un pré-sident reconnaisse publiquement que l’État n’est pas parfait, qu’il est faillible ». C’est surtout une attente forte qu’a mesuré aussi le PDG d’Havas Paris (lareclame.fr, 16/11). « Le public n’attend plus des leaders qu’ils aient raison tout seul et disent à tout le monde : “Je sais”. On espère à l’inverse qu’ils disent “Je ne sais pas” ou “Je ne suis pas sûr”», résume ainsi Julien Carette. Avec une prime à celui qui le reconnait : ce qui a pro-pulsé la cote de popularité d’Édouard Philippe au printemps.
Égaliser la relation au citoyen
Les circonstances ont poussé les politiques à faire preuve d’humilité et à la communiquer, en adaptant leurs outils de compol. Une lame de fond qui ne fait que débuter. « C’est la seule façon d’égaliser la relation avec le citoyen », relance Ariane Ahmadi Kermanshahani, face à la défiance énorme qui se conforte. Il y a l’idée « qu’on s’adapte en permanence à ce principe de précaution de l’opinion publique ». Mais en plus, et les conférences de presse sur l’épidémie l’ont montré, il faut impérati-vement une « communication pédagogique : vous ne pouvez pas faire sans créer des mo-ments où vous explicitez précisément votre action ». Avec des questions challengeantes de la presse, par exemple.
L’avènement du chef d’orchestre
Mais, « plus que de convaincre des résultats des actions menées, il s’agit “d’embarquer” le plus de parties prenantes de la société, au-delà des générations et des couleurs politiques, vers un but commun qui doit ap-paraître comme bénéficiant à tous », ajoute Amina-Mathilde N’Diaye, consultante en com-munication et influence. Spécialiste de ces nouvelles tendances qui essaiment, elle l’assure : dispositifs participatifs, associations, représentations des professions, ONG, influenceurs peuvent contribuer à passer des mes-sages constructifs auprès de leurs commu-nautés.
Mais attention : « Pour embarquer toutes ces parties prenantes, il faut qu’elles sentent qu’elles ont l’opportunité de participer réellement à la prise de décision finale. » Ce qui n’est pas encore le cas, on le voit, avec la convention citoyenne sur le climat. L’exécutif, s’il doit toujours donner le cap, est dans l’obligation désormais de montrer qu’il sait déléguer et prendre en compte les citoyens. Voire céder ponctuellement sa place. « Le politique, et le gouvernant en particulier, se doit de montrer son humilité et sa capacité à s’effacer face à l’impérieuse nécessité du bien-être général, poursuit Amina-Mathilde N’Diaye.
Tel un chef d’orchestre, il doit réussir à faire entendre tous les instruments, en veil-lant à ce que le son des uns ne couvre pas ce-lui des autres. » Face à des opinions segmen-tées sur les réseaux, l’année 2020 a affirmé la nécessité d’« adapter l’écriture médiatique aux codes qu’ils imposent », avertit l’experte, tel l’entretien d’Emmanuel Macron au média Brut. Et la consultante de conclure : « 2021 devrait laisser voir une pénétration plus affirmée de la communication politique dans l’arène virtuelle de l’interaction citoyenne et de la co-construction de la décision. » Bien-venue dans le XXIe siècle.
JÉRÔME VALLETTE